Le storytelling ou l’art d’activer des émotions

Un guide des technologies utilisées dans les expériences de marque

LA TECHNOLOGIE POUR LES EXPÉRIENCES DE MARQUE : AMIE OU ENNEMIE ?

Dans un monde idéal, une marque a une histoire à raconter. En tant que stratégistes, nous étudions la manière de raconter ces histoires et cherchons à le faire de façon originale et captivante pour les rendre plus vivantes. Nous avons récemment observé un engouement des marques pour l’utilisation d’outils et de jeux comme la réalité virtuelle, la réalité augmentée et même l’intelligence artificielle.

Ces outils influencent-ils notre manière de raconter les histoires ? Racontent-ils les histoires différemment ? Qu’est-ce qui fait qu’une histoire améliorée par les technologies reste quand même une histoire ? Un début, un milieu et une fin ? Un protagoniste contre un antagoniste ? Un point d’orgue déchirant suivi d’un dénouement mêlant douceur et amertume ? Un personnage auquel on s’attache ? Quelles sont les origines du storytelling ? Et quel est son avenir ?

Ce sont les questions que nous nous sommes posées après notre visite du pop-up de la Story Arcade, à la conférence de Future of Storytelling.

VISITE DE LA STORY ARCADE

Au mois d’avril, Future of Storytelling a animé une expérience temporaire, une Story Arcade réunissant 8 expositions célébrant la réalité virtuelle, la réalité augmentée, la technologie haptique, l’intelligence artificielle et plus encore. Cet événement promettait de mêler technologie de pointe et scénarios passionnants où le public ne serait plus cantonné à un rôle passif mais pourrait participer activement. Intrigués, nous avons décidé de faire un saut à la Story Arcade.

Dans l’ensemble, la Story Arcade a montré les vastes frontières de la réalité virtuelle et des expériences améliorées par la technologie. L’impact des expériences individuelles s’est toutefois révélé mitigé. Certaines expositions ont réussi à stimuler nos sens. Dans « Cosmic Sleep », nous avons pu ressentir l’impact de la chaleur solaire et du gel spatial sur une comète, immobilisés sous une couverture de capteurs haptiques.

« Jurassic Flight » nous a fait voler comme un ptéranodon en associant des casques de réalité virtuelle et un simulateur de vol utilisant l’ensemble du corps et des ventilateurs pour nous faire vraiment ressentir ce à quoi un vol dans un paysage préhistorique devait ressembler.

Pour « Algorithmic Perfumery », nous avons dû remplir un long questionnaire, qui a été analysé par un système d’intelligence artificielle pour ensuite nous concocter un parfum original correspondant à notre personnalité. Le parfum obtenu a été conçu exclusivement pour nous, avec un nom et une formule unique. Quant à ce que nous avons pensé de l’odeur finale, c’est une autre histoire.

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En tout cas, ces expositions n’ont fait qu’éveiller nos sens. Le fond était décevant. Prenons par exemple « Jurassic Flight ». Avons-nous ressenti les difficultés ou les désirs d’un ptéranodon ? L’odeur de la faune préhistorique ou la sensation d’humidité jurassique nous auraient-elles aidés à nous sentir plus proches de la vie de ces créatures autrement inconnues ? Probablement pas. Nous avons quitté les expositions éblouis, un peu désorientés mais avec une sensation de vide. Au lieu de repartir avec un souvenir vivace, nous avons juste eu une vague impression de technologie de réalité virtuelle.

Cela ne veut pas dire que toutes les expositions nous ont laissés sur notre faim. Certaines nous ont émus jusqu’aux larmes.

« Munduruku : the Fight to Defend the Heart of the Amazon » (Munduruku : la lutte pour défendre le cœur de l’Amazonie) était remarquable. Les visiteurs étaient guidés dans le monde d’une tribu amazonienne luttant contre la constante déforestation de leur territoire. Ce ne sont ni le casque de réalité virtuelle, ni même les puissantes odeurs de leur écosystème diffusées dans le pod qui rendaient cette histoire réelle.

Raconté par le chef de la tribu, Caique Suarez Saw Munduruku, le film nous a fait découvrir les différents aspects de la vie quotidienne de la tribu. Nous avons vu où ils mangeaient et on nous a donné une tasse chaude pour simuler une participation active. Nous avons pu observer comment ils récoltaient ensemble des racines. Nous avons compris l’importance de leur état d’esprit collectif et avons ensuite pu apprécier les parfums de la forêt amazonienne pendant la saison des récoltes. Nous avons non seulement observé l’importance de l’écosystème de Munduruku dans leur vie quotidienne, mais avons aussi été impressionnés par l’engagement de ces gens pour protéger l’Amazonie.

La technologie de cette exposition était impressionnante, cela ne fait aucun doute. Pourtant, bien que la technologie ait été très présente dans cette expérience multisensorielle améliorée, ce sont d’autres qualités qui en ont fait un succès totalement immersif et transformateur. Les difficultés étaient nombreuses. Il s’en est dégagé quelque chose qui a permis aux membres du public de s’investir émotionnellement. C’était une histoire de lutte et de relations. Autrement dit, il y avait une histoire.

La Story Arcade était fascinante et valait vraiment le détour. Les storytelling à succès ont toujours fait appel aux sens. Des outils comme la réalité virtuelle, la réalité augmentée, les capteurs haptiques et autres ne servent qu’à améliorer une histoire, pour lui donner vie sous de nouvelles formes. Sans histoire, les outils ne sont que des gadgets divertissants vite oubliés.

LE MARKETING EXPÉRIENTIEL RÈGNE SUR TOUT CE QUI M’ENTOURE

C’est précisément ce que nous voulons éviter dans les expériences de marque. Le marketing expérientiel est rapidement devenu la norme dans les efforts déployés pour engager les consommateurs. L’objectif est toujours le même : comment faire en sorte que les consommateurs se souviennent de notre marque ?

À la Nike House of Innovation, la réponse est claire : on se souvient de ce qui nous touche personnellement. Le Flagship est une expérience retail super-personnalisée sur six étages, dans laquelle le consommateur est maître : à travers l’app mobile Nike, il scanne les styles qui l’intéressent, constitue sa propre cabine d’essayage virtuelle à laquelle il peut ensuite accéder physiquement, et explore des possibilités de customisation infinies dans la Nike Arena. La technologie, en l’occurrence la Réalité Augmentée, sert d’assistant zélé pour connecter le consommateur au produit. Pour pousser l’individualité de chaque visite, le Nike Expert Studio, sur réservation, offre des sessions d’une heure avec un expert-styliste afin de constituer un look unique. Le principe n’est pas nouveau, mais le résultat innove : une cabine d’essayage que l’on retrouve grâce à l’affichage de son nom sur la porte, garnie en surprises sur-mesure et au design puissant et propriétaire (bonus : un miroir à l’éclairage destiné aux selfies). La technologie se met ici au service de l’individualité du consommateur, tout en délivrant le storytelling de la marque, son expertise.

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À l’Atelier Beauté Chanel, nous vivons les histoires plutôt que de les raconter. En matière de storytelling, Chanel possède un passé mythique dans lequel puiser. La marque a toutefois choisi de rester ancrée dans une dimension actuelle très réelle : une boutique où les clients peuvent essayer tous les produits de soin et de maquillage Chanel. La technologie joue un rôle central dans ce parcours mais ne dicte pas sa direction. Elle sert plutôt de soutien. En entrant dans la boutique, les clients se connectent sur leur navigateur mobile. Ils déambulent alors dans les différents espaces (soins, bases, etc.), peuvent trouver chaque produit sur leur téléphone, sélectionner les boutons « j’aime/je n’aime pas » et les ajouter en toute transparence à leur panier. La page web guide également les clients avec des notes détaillées sur chaque espace. La technologie ne fait pas d’ombre à la vision unique de la marque. Elle permet au contraire de raconter son histoire en mariant l’imagination de la marque à ses produits réels.

Lorsque la marque peut construire une boutique entière et concevoir une expérience immersive avec plusieurs points de contact, le résultat est voué à la réussite. Mais les casques de réalité virtuelle donnent la possibilité aux marques de communiquer avec des clients confortablement installés chez eux tout en leur offrant une expérience de marque. L’expérience de cuisine en réalité virtuelle IKEA, disponible sur le Steam store, permet aux utilisateurs de s’imaginer d’infinies possibilités pour concevoir et aménager leur cuisine, en leur permettant de tester toutes les fonctionnalités de base de la cuisine. C’est une aire de jeux virtuelle pour adultes qui rêvent d’une cuisine parfaite. L’histoire racontée ici est celle de la fonctionnalité, de l’accessibilité mais aussi du retour de l’humain dans les solutions d’ameublement. Plus qu’un gadget, c’est la narration centrale d’IKEA qui se traduit par une expérience à domicile grâce à la réalité virtuelle.

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Plus qu’un aperçu de l’univers de la marque, l’Atelier Beauté Chanel et la cuisine en réalité virtuelle IKEA permettent aux clients d’évoluer dans leur propre univers et leur routine quotidienne. Qu’il s’agisse d’habitudes beauté ou de rêves de rénovation dans sa cuisine, ils expérimentent à travers le regard de la marque. Ces marques encouragent les consommateurs à jouer et à explorer plus en profondeur l’histoire de Chanel et d’IKEA. En sortant de l’Atelier ou en reposant le casque RV, reste une réalité attrayante et extraordinaire qui semble tout droit sortie de l’imagination de la marque. Ce qui permet à ces exemples de fonctionner, c’est qu’ils sont centrés sur les marques et non sur les outils. Dans tous ces exemples où le consommateur expérimente, la décision d’utiliser de nouveaux outils comme la réalité virtuelle n’est pas prise au détriment de l’histoire de la marque et l’expérience n’est pas reléguée au second plan par de nouvelles technologies tape-à-l’œil. Une nouvelle expérience n’est pas un but en soi. Elle n’apporte rien au développement de la marque et ne génère pas de valeur émotionnelle.

CE QU’IL FAUT RETENIR

L’expérience d’un consommateur avec une marque devrait toujours le toucher émotionnellement et lui laisser une impression indélébile. La façon la plus rapide et efficace d’y parvenir est de proposer une histoire de marque convaincante. Comme l’a déclaré Brian Cornell, chef de la direction de Target : « Chez Target, nous consacrons beaucoup de temps à étudier toutes les options, de l’intelligence artificielle à la réalité virtuelle. Mais nous savons aussi que rien ne remplace les relations humaines. » Ces relations humaines sont ce que les meilleurs histoires de marque s’efforcent de créer.

Lorsque l’histoire de la marque reste centrale, même les améliorations les plus simples engendrent des bénéfices incommensurables. La technologie peut être un outil formidable pour amplifier les sens mais rien ne peut remplacer l’aspect émotionnel de l’histoire. Lorsque les marques utilisent la technologie correctement et voient les choses en grand, elles ne racontent plus d’histoires.Elles construisent une histoireen créant un monde aux multiples facettes qui est sûr d’attirer des clients fidèles sur le long terme.

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